Interview de Jacques Touillon, créateur de Foobot

Lors du Cleantech Forum 2016, nous avons eu le plaisir de rencontrer Jacques Touillon, le créateur de Foobot, un capteur connecté de mesure de la qualité de l’air. Jacques a accepté de répondre à nos questions sur Foobot et sur la qualité de l’air !

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Bonjour Jacques Touillon, pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre compagnie ?

Bonjour, et bonjour à tous vos lecteurs.

Je suis Jacques Touillon, j’ai une formation MBA (Masters of Business and Administration) et j’ai longtemps travaillé dans le secteur de l’environnement, dans des fonctions communication/marketing/changement de comportement, dans ma propre agence.

J’ai toujours aimé travailler sur des projets qui ont du sens, comme la communication qui contribue à conjuguer vie moderne et respect de l’environnement . Je n’aurai jamais pu travailler dans la publicité par exemple, parce que je veux que les projets que je mène soient utiles dans nos vies.

Concernant mon entreprise, j’ai créé Foobot il y a trois ans, mais l’idée de ce projet est bien plus ancienne, suite à une expérience familiale, avec mon fils qui, à l’âge de 2 ans, a été diagnostiqué avec l’asthme des bébés, une maladie que je ne connaissais pas et devant laquelle on se sent vraiment impuissant.

J’ai donc commencé à m’intéresser au sujet de la qualité de l’air, mais il n’existait à l’époque (il y a 12 ans), aucune solution.

Vers 2008, je me suis tourné vers l’Internet des Objets (IoT) et l’internet en général, comme outil de changement des comportements. J’ai ensuite eu l’opportunité d’appliquer le concept de l’IoT à la qualité de l’air, avec le défi de combiner capteurs de mesure et data processing.

La première année d’existence de Foobot, nous nous sommes concentrés sur le concept, la recherche des capteurs et le prototypage, afin de produire le Minimal Viable Product (Produit Minimum Viable). Nous avons aussi lancé une campagne de crowdfunding pour tester le marché en vendant notre prototype à des bêta-testeurs dans 24 pays.

La deuxième année, nous avons fait beaucoup de tests et amélioré le produit grâce aux retours des utilisateurs. Au bout de deux ans, le produit était industrialisé et prêt à être mis sur le marché. Cela fait donc un an maintenant que Foobot existe comme produit fini.

Justement, comment se passe cette mise sur le marché ?

Contrairement à d’autres objets connectés, Foobot n’est pas un produit de substitution : c’est un produit complètement nouveau. Il est donc nécessaire d’habituer le public et de l’éduquer. Il y a donc une bonne partie d’évangélisation et d’explication, même si nous avons quand même des geeks  et des early adopters.

La première étape consiste à révéler par les mesures, à rendre visible cet ennemi invisible qu’est la pollution de l’air. Mais ça ne suffit pas : savoir qu’il y a un problème ne suffit pas à le régler. Dans un deuxième temps, il faut donc passer du monitoring à l’action, et prendre le contrôle des systèmes de ventilation, de filtration et de purification.

Alors Foobot, c’est quoi précisément ?

Foobot est un appareil connecté de mesure de la qualité de l’air. Il embarque des capteurs correspondant aux deux principales sources de pollution intérieure. D’abord la pollution chimique : les Composés Organiques Volatils, le plus connu étant le formaldéhyde (déclaré cancérigène par l’Organisation Mondiale de la Santé).

Foobot peut détecter les principaux gaz dangereux déclarés par l’OMS, sachant qu’il en existe bien sûr beaucoup plus.

Ensuite, la pollution physique : les particules fines. Pour la qualité de l’air intérieur, on se concentre sur les particules PM2.5, qui font moins de 2.5 microns de diamètre. Ce sont des particules que nous inhalons et qui impactent directement notre système respiratoire. Les plus fines d’entre elles passent dans notre système sanguin. On les trouve le plus souvent à l’intérieur.

Foobot mesure aussi la température et l’humidité, car ce sont les facteurs d’aggravation ou d’amélioration de la pollution. S’il fait trop chaud, les polluants gazeux sont plus nocifs ; si l’air est humide, de la moisissure peut se développer ; s’il est trop sec, nos muqueuses peuvent être irritées, par exemple.

Foobot est connecté en WiFi et mesure en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il existe deux façons d’accéder aux données collectées : d’abord grâce à des LED sur l’appareil, qui changent de couleur en fonction de la qualité de l’air : 3 tons de Bleu pour l’air sain, et 3 tons de Orange pour l’air pollué.

Ensuite, l’application smartphone (iOS et Android) permet de récupérer les résultats, mais aussi de consulter l’historique des mesures, de recevoir des alertes, des notifications, des conseils, etc.

À terme, nous voulons aussi permettre aux utilisateurs de piloter depuis l’application  leurs systèmes de ventilation, filtration et purification de manière automatique en fonction des mesures de la qualité de l’air.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette automatisation ?

Jusqu’à maintenant, nous avons développé trois principaux projets.

D’abord, nous avons un partenaire suédois, Blueair, un fabricant de purificateurs d’air, qui cherche à digitaliser son activité. Sous forme de licensing, ils possèdent donc leur propre Foobot, sous leur nom, et nous sommes en train de travailler à intégrer nos capteurs directement dans les purificateurs, de façon à n’avoir qu’un seul appareil.

Ensuite, nous avons un autre projet plus large, sur le marché américain. Le but est de rassembler trois produits : Foobot, un thermostat connecté (Lux) et un purificateur, de façon à purifier l’air directement dans les conduits d’aération. Par contre, il faut l’intervention d’un professionnel pour l’installer, donc c’est plutôt destiné à la construction ou à la rénovation.

Foobot monitore la qualité de l’air, prend le contrôle du thermostat et déclenche la ventilation et la purification en fonction du niveau de pollution. Il s’agit donc du premier système de traitement d’air à la demande, complètement automatisé.

Nous avons également un autre projet disponible pour le grand public : Foobot vient d’être labellisé IFTTT (If This Then That). Le principe est de faire interagir très facilement des objets en fonction de règles définies par les utilisateurs.

Par exemple, s’il fait sombre, l’éclairage s’allume automatiquement. Avec Foobot, on peut donc utiliser des règles du type : « si le taux d’humidité est inférieur à 35%, allume l’humidificateur. » ou encore « si le taux global de pollution dépasse le seuil recommandé par l’OMS, mets le purificateur en marche. »

Les appareils non connectés au départ, par exemple un ventilateur classique, peuvent être commandés par Foobot avec une simple prise WiFi (un accessoire que l’on trouve dans tous les magasins d’électronique et électroménager).  Le service est gratuit et extrêmement simple pour les utilisateurs.

On est donc sur l’idée d’un Dolby System : Foobot est à la fois un produit et un software.

Le produit est donc destiné autant aux particuliers qu’aux professionnels ?

Pour émerger en tant qu’expert et exister, il est évident que les particuliers sont la première cible. Mais notre vrai projet se trouve dans le BtoB et le BtoBtoC. Un autre projet, en cours de développement, est par exemple de permettre à Foobot de contrôler les thermostats connectés, comme Nest. Le but est de faire de Foobot le « thermostat de la qualité de l’air. »

En concevant un produit innovant comme Foobot, quel a été votre plus grand challenge ?

Le plus difficile, et ce qui reste une difficulté, c’est de faire accepter la rupture technologique pour passer de la métrologie au suivi de la tendance.

Je m’explique : si vous avez chez vous un pèse-personne, vous savez pertinemment que le poids qui vous est donné tous les matins n’est pas exact : il peut varier d’un modèle à l’autre. Par contre, vous savez aussi que le fait de suivre son poids sur la même balance vous assure des informations précieuses, car constantes, sur le suivi de la tendance de votre poids.

Pour Foobot, c’est la même chose. Les experts, rencontrés au début du projet, me traitaient souvent de farfelu, voire d’escroc, en disant que si la mesure n’est pas exacte, il ne faut pas prétendre pouvoir la donner. Alors que les appareils de laboratoire pour mesurer la qualité de l’air sont trop chers pour le grand public, cela revient à condamner les citoyens à l’ignorance, faute d’évolution technologique.

Pour provoquer, je dis souvent que le fait que le capteur ne soit pas aussi juste que les appareils professionnels, n’est pas insurmontable. C’est la répétabilité de la mesure qui est importante. C’est exactement la même chose pour le quantified self et tous les trackers d’activité : il y a quelques années, on ne faisait que critiquer la marge d’erreur de 20 à 25% de la mesure, maintenant ces appareils sont utilisés dans la médecine préventive aux États-Unis.
Il est important de connaître les limites de l’appareil pour en faire un bon usage. Nous savons, par exemple que le capteur de particule à une marge d’erreur de 12%, contre 5% pour des matériels professionnels qui valent 10 fois plus cher.

Toute rupture est toujours critiquée, mais notre technologie peut aussi apporter des informations précieuses sur l’environnement des gens. Par exemple, si vous allez chez le médecin pour des problèmes respiratoires, il peut être extrêmement intéressant de disposer d’informations sur la qualité de l’air à la maison, avant, pendant et après la survenance d’une crise.

C’est s’intéresser aux causes et pas seulement aux conséquences.

D’autant que la qualité de l’air a été délaissée dans les bâtiments : on s’est beaucoup intéressé à l’efficacité énergétique des bâtiments sans prendre en compte la qualité de l’air intérieur, en Europe en tout cas. Il y a urgence à s’intéresser à la qualité de l’air en tant que vecteur de santé.

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Vous vivez aux États-Unis : quelles sont les différences majeures entre l’Europe et les États-Unis en matière de qualité de l’air ? Foobot y trouve-t-il un écho différent ?

C’est une question très intéressante.

Le niveau de connaissance est nettement supérieur en Europe, mais, et c’est très surprenant, ce sont les européens qui consomment le moins de produits liés à la qualité de l’air.

Cela s’explique de façon assez simple : la société américaine a fait de la donnée un service, et apprécie la valeur de ce service. La société est véritablement mue par les données (data-driven society) et elle aime l’innovation, quand les européens sont plus conservateurs.

De même, les européens ont du mal à concevoir que la santé doive être prise en charge par tout un chacun.  Pour eux, et pour les français tout particulièrement, c’est à l’État de s’occuper de la santé des gens.

Or, des études montrent que la pollution de l’air intérieur & extérieur entraîne 101 milliards d’euros de coûts chaque année ! Imaginez combien de Foobot on pourrait mettre dans les maisons avec ça [rires].

 Qu’en est-il de la réalité de la qualité de l’air ? Est-elle différente ?

Aux États-Unis, la plupart des systèmes de chauffage est basée sur l’air pulsé, il y a donc plus de particules fines qu’avec un système de chauffage central, dans lequel la chaleur n’est pas en contact direct avec l’air.

Le phénomène de la pollution de l’air intérieur est presque le même dans le monde entier, malheureusement, même en Chine : l’air intérieur est beaucoup plus pollué que l’air extérieur, par confinement des espaces et mauvaise gestion du renouvellement de l’air.

Les deux marchés ont le même potentiel de développement pour nous, mais Foobot a un impact plus immédiat en Amérique du Nord car on peut traiter l’air directement dans le système de ventilation. En Europe, il faut apporter plus de matériel, un purificateur par exemple, même s’il est plus facile d’impacter la rénovation.

Encore une fois, les industriels européens sont très forts dans le domaine de la récupération d’énergie dans les systèmes sophistiqués de ventilation par exemple, beaucoup plus que les américains, mais ils commencent tout juste à s’intéresser à la qualité de l’air.

Question provoc’ : Foobot est un concept extrêmement intéressant, mais une fois qu’on l’a acheté, il sert à quoi ?

Au final, à quoi sert un thermostat une fois que vous l’utilisez ?

Il y a deux cas de figure : si vous utilisez Foobot pour contrôler la qualité de l’air intérieur, vous vous en servez pour vérifier que tout va bien.

Anecdote : il y a quelque temps, chez moi, tous les Foobot mesuraient un air moins bon et étaient plus souvent à l’orange. J’ai donc cherché la cause, et je l’ai trouvée : des travaux dans la rue augmentaient le taux de particules fines et créaient ainsi un bruit de fond de pollution.

Deuxième cas de figure, si vous utilisez le software, c’est-à-dire si vous vous servez de Foobot comme d’un thermostat : il agit comme un centre de contrôle intelligent, et il ne cesse jamais d’être utile !

Foobot fait partie, au moins partiellement, de ce que l’on appelle les cleantechs. Comment cette industrie parviendra-t-elle selon vous à changer nos vies ?

En Europe, je ne suis pas sûr, mais aux États-Unis, en Australie ou au Royaume-Uni, ce changement est en marche et les limites sont constamment repoussées.

Par exemple, c’est le secteur privé qui est en train d’établir les normes de bien-être et de santé dans le bâtiment (well-being) aux États-Unis. Les industriels sont eux-mêmes en train de définir des standards de sustainability de l’aménagement, de la construction et du bien-être dans les bâtiments.

On est aussi par exemple en train d’imaginer des baux commerciaux dans lesquels serait inscrite la qualité de l’air.

En Europe, des initiatives de ce genre existent, mais pas du côté de la qualité de l’air : la RT2012 ou avant elle les BBC (Bâtiments Basse Consommation) font la part belle à l’efficacité énergétique mais ne prennent pas encore en compte la qualité de l’air.

Quels sont les enjeux majeurs pour la qualité de l’air dans les années à venir ?

J’ai une conviction, c’est qu’on a besoin de faire beaucoup de démonstration. Aujourd’hui, on ne dispose pas d’assez d’études ni d’enquêtes.

Exceptés pour ceux qui en souffrent déjà, la qualité de l’air a un impact à long-terme, voire très-long terme : 10, 20 ou 30 ans. Donc c’est facile de se dire que ce n’est pas important, puisqu’on n’en voit pas les conséquences immédiates.

On ne connaît par exemple pas l’impact de la qualité de l’air sur les morts prématurées. Il faut quantifier l’impact de la pollution sur la santé. On dispose déjà de statistiques de l’OMS sur la perte de l’espérance de vie : on parle de 12 à 18 mois perdus en Europe.

Le formaldéhyde est cancérigène, mais toujours pas interdit en Europe. On ne fait que des recommandations sans prendre d’actions concrètes.

Par exemple, en 2012 un décret applicable en 2015 est paru, qui obligeait à contrôler la qualité de l’air tous les 7 ans dans les bâtiments publics, mais on n’a pas les moyens de corriger les problèmes si on les décèle. Résultat : le décret a été annulé, et remplacé par la mise à disposition de dépliants fournissant des conseils sur la qualité de l’air. Exit la prévention !

C’est un paradoxe qui n’existe pas aux États-Unis, puisque les certifications sont faites par le privé. Les entreprises paient les assurances santé et les mutuelles en fonction des risques, et elles ont donc tout intérêt à mesurer le risque pour payer moins.

À ce propos, avez-vous vu un changement dans les mentalités ou les habitudes dans les dernières années ?

Oui. Il y a trois ans, quand je rencontrais des experts ou des ingénieurs, on me disait que j’étais farfelu. Aujourd’hui, ils admettent qu’il y a un intérêt, sans pour autant le recommander. Pas encore, mais l’approche grand public nous aide à faire bouger les convictions.

Du côté des particuliers, c’est sûr qu’il y a plus de ventes spontanées, aux US, bien sûr, mais aussi en Europe du Nord, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

Jacques Touillon, un dernier mot ?

Avec plaisir ! Il est louable de vouloir rendre visible un ennemi invisible, mais la vraie valeur ajoutée est de passer à la prise de contrôle par Foobot des système d’amélioration de la qualité de l’air. Il faut, après le SaaS (Software as a Service) et le MaaS (Marketing as a Service), penser le GAaaS : Good Air as a Service.

Merci beaucoup à Jacques Touillon, CEO de Foobot, de nous avoir accordé cette interview lors du Cleantech Forum 2016 ! Vous pouvez consulter nos autres interviews sur notre page dédiée !

 

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